Conférence d'Alain Bauer

Posté le 19/10/2024  

Trois cents personnes sont venus écouter pendant près de deux heures le criminologue Alain Bauer invité par Imagin’Colmar, ce 19 octobre aux « Catherinettes ». Intitulée « Drôle de paix et pas drôle de guerre », cette conférence a captivé son auditoire. Cet ancien socialiste rocardien a rejoint Nicolas Sarkozy ensuite. A droite comme à gauche, il est une figure de pointe dans son domaine de compétence à savoir la sécurité intérieure comme extérieure. C’est avec beaucoup de pédagogie et d’humour que ce professeur du Conservatoire National des Arts et Métiers a conquis ces auditeurs. Bien connu sur les plateaux « télé », il n’était pas nécessaire qu’il se présente. S’il a tenu à le faire, c’est pour entrer en matière et corroborer sa conclusion de présentation : « en France, le crime n’existe pas ! ». L’expression a de quoi surprendre mais elle sert d’introduction au terrible constat du « déni de réalité » dans lequel se sont confortablement installées nos élites dirigeantes.



La criminologie, grande absente de l’espace académique français.
Alors que nous sommes les inventeurs de la criminologie que nous avons exportée avec les italiens, la France est un des rares pays qui ne connaît pas de filière universitaire en la matière. (Il existe seulement quelques diplômes universitaires au titre d’une spécialité.)
La plupart des autres pays forment, entre autres, leurs cadres de police avec une licence ou un master en criminologie. Cette science est au carrefour du droit, de la sociologie, de la psychologie et même de la médecine (légale). Mais les pontes et caciques de l’université française qui nous bassinent depuis des décennies avec leurs vœux pieux de l’interdisciplinarité ont toujours fait obstacle à la discipline. Pas étonnant pour Alain Bauer puisque « le système académique français est le dernier système soviétique fonctionnel au monde. »



Le travestissement de l’information en divertissement.
L’orateur souhaite convaincre plutôt que de soutenir des postures politiciennes faites de mécanismes connus qui sont imprécations, incantations et lamentations. On pourrait enfin parler du sujet : le crime existe-t-il et la guerre existe-t-elle ? « Deux questions qui ont du mal à émerger de manière raisonnablement discutable dans une opinion extrêmement clivée, dominée par le buzz falsifié par des chaînes prétendument d’information qui ont travesti cette dernière en divertissement. » Le processus de ces chaînes d’informations en boucle est toujours le même : Sous son regard amusé et censeur, l’animateur veille à ce qu’un concours d’onomatopées et d’imprécations empêchent la finition d’une seule phrase étouffée et couverte par les décibels. Celui-ci est ravi que l’émission se termine sans vainqueur si ce n’est que l’animateur qui a réussi à ce que personne n’entende rien sur rien…



Que sait-on de l’activité criminelle en France ?
En matière criminelle, il faut le savoir : « entre ce que l’on sait, ce que l’on croit et ce que l’on cherche, ce que l’on sait est la plus petite partie de l’ensemble. » Les années soixante-dix marque un tournant en la matière. À partir de 1972, les services de sécurité (police et gendarmerie) se sont dotées d’un outil standardisé de mesure de l’activité judiciaire des services basé sur des comptages mensuels, appelé « État 4001 ». Ce document administratif porte sur les crimes et les délits (à l’exclusion des contraventions et des délits routiers). Ce qui est déjà une faille pour Alain Bauer. En effet on compte entre 3 et 4 millions de crimes par an. Mais on estime le volume des contraventions au nombre de 40 millions annuels !
En fait jusqu’au début des années 70, l’activité criminelle s’intensifie au point que l’on se trouve devant un contentieux de masse avec une augmentation considérable d’infractions routières mais aussi d’une envolée des chèques sans provision. La représentation nationale était alors devant un choix : Soit d’augmenter le nombre de tribunaux, de juges, de greffiers ou de dépénaliser et déclassifier un certains nombres de délit mineurs en contraventions dont l’auteur s’acquitte d’une simple amende. On a bien évidemment choisi la deuxième option. Elle semblait tout-à-fait acceptable sauf que la loi de 1972 a créé des amendes de 4e et 5e classe concernant également des violences faites aux personnes autrefois punies par de la prison !



Notre justice est partielle, parcellaire et partiale
Elle est partielle par le principe de sa classification en crimes, délits et contraventions. Il est bon de rappeler que les crimes et délits (ceux qui sont comptabilisés) sont des infractions à la loi. Les contraventions sont des infractions aux règlements dont le paiement de l’amende entraîne l’extinction de l’action publique.
Elle est parcellaire parce que l’infraction doit être constatée ou déclarée. Un certain nombre échappe aux deux tout simplement parce que les victimes ne les déclarent pas. La raison est à trouver du côté des assureurs. Leurs statistiques auraient été utiles pour ajouter ces infractions qui ont donné lieu à un dédommagement mais ils ont créé la franchise, seuil en deçà duquel la victime n’est pas indemnisée. « Qui va aller passer trois heures dans un commissariat pour déclarer un infraction pour rien !? ». Il y a donc une déperdition naturelle du nombre de plaintes par absence de remboursement pour des atteintes aux biens.
Elle est aussi partiale. Elle est due a un effet pervers de la mobilité policière et gendarmique. Les commandements d’unités (commissariats et compagnies de gendarmerie) sont triennaux même si certains font quatre ans. Alain Bauer explique ce qu’il appelle « le petit tas de sable laissé au successeur ». Cette technique permet d’enregistrer des infractions dans le fichier en fin d’année. Cela fausse donc les chiffres du moment.



Main courante, main baladeuse ?
La main courante dont les origines remontent au 18e siècle pour la police a été étendue à la gendarmerie en 2018. Ce procédé hypocrite est « l’art de faire semblant d’enregistrer un truc qui n’ est pas enregistrable et que l’on ne comptait pas jusqu’au moment où on l’a informatisée ; ce qui a permis de découvrir la masse immense de faits qui ne l’étaient pas ! (environ 1 million par an) » Ce qui fait une belle différence avec les 3 à 4 millions du fichier statistique. Et c’est ainsi que les victimes sont « baladées ».
Tout ceci démontre que les chiffres du ministre de l’intérieur sont tout simplement faux ! « Mais ce n’est pas bien grave puisque le politicien qui remplit la fonction saura vous expliquer que même si les chiffres ne baissent pas la situation est bonne puisque plus trois pour cent c’est quand même mieux que neuf pour cent » sourit Alain Bauer.
En attendant, les victimes subissent cette partialité entre, les refus d’enregistrer une plainte ou la main courante « pour calmer le jeu ». Ces pratiques sont également la conséquence de la liberté de poursuite qu’ont les procureurs de la république par l’usage arbitraire du classement sans suite !
C’est ainsi que naît l’écart entre l’insécurité et le « sentiment d’insécurité » tout simplement parce que les chiffres établissent ce qui est enregistré et non la réalité de ce que subissent les victimes.



L’enquête de victimation : le grand écart.
Introduite en 2000, ces enquêtes ont été menées comme le recensement des ménages par l’observatoire national de la délinquance à l’issue d’un accord commun droite gauche. On s’attentait à un écart de un à trois comme dans d’autres pays. Mais en France, il est plutôt de un à cinq ! La statistique montre que l’écart le plus grand concerne les violences intrafamiliales. De ce fait, il ne faut pas s’étonner du succès des mouvements tels que MeToo qui exhument des faits inconnus jusque là. Du coup lorsque ce type d’infraction déclarée ou constatée sur une année grimpe on ne sait pas si c’est un phénomène d’inflation ou de révélation de ce que l’on avait pas vu avant. De plus, ce qui est très important concernant le ressenti d’insécurité, c’est la différence qu’il y a dans les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes. La première est difficile mais comme il n’y a pas de lien avec la victime (les faits se produisent en votre absence) , il n’y a pas de confrontation et donc, il n’y a pas de stress post traumatique. Par contre les atteintes aux personnes vous transforment de spectateur de l’infraction à « acteur victime » face à l’auteur. C’est une expérience bien plus traumatisante.



Le processus réactionnel institutionnel : Négation - Minoration - Éjection
La première réaction face aux atteintes aux biens est de renverser la culpabilité. « C’est de votre faute, vous attirez la convoitise, changez votre serrure, équipez-vous d’une alarme, mettez un neiman sur la voiture, achetez un auto radio non extractible. Faites de la prévention situationnelle ... » En ce qui concerne les atteintes aux personnes, c’est plus compliqué car l’état est « sensé » vous protéger.
En France, en cette matière et comme à peu près sur tous les autres sujets, la règle est négation, minoration et éjection.
1° On vous dit d’abord que « ce n’est pas vrai », que ce n’est pas possible, que vous regarder trop la télé. Tout cela est une invention, nos chiffres sont bons, la violence n’existe pas. Comme cela ne dure qu’un temps car l’augmentation du nombre de victimes physiques existent, on arrive à la deuxième étape.
2° « C’est vrai MAIS c’est beaucoup moins grave que ce que vous dites ! » Vous passez de menteur à exagérateur et c’est le moment où vous perdez le contact avec l’élu qui est en face de vous ! C’est le moment ou ce dernier se défile le plus de sa responsabilité.
3° Apparait alors dans le champ politique, l’extrême, celui qui vous dit, « c’est vrai et je sais qui c’est ! » lequel n’hésite pas à désigner un chat, un chat !  Approche sympathique pour la victime qui fait fuir l’élu estimant que la parole de l’extrême est irrecevable.
Si les extrêmes se sont emparés des questions de sécurité, c’est parce que les partis traditionnels de droite comme de gauche sont dans le déni de réalité.


La gauche n’est pas laxiste mais idéologique.
Au sein de la gauche demeure encore des dogmes inébranlables. « Il n’y a pas d’auteurs, il n’y a que des victimes. Le crime ou le délit, n’est qu’une transposition de la lutte des classes dans une société dont le libéralisme sauvage est particulièrement violent à l’égard du prolétariat. » Il ne s’agit pas de laxisme mais d’idéologie. Sans réponse, la droite demeure muette par son inertie alors que sous la troisième république, Clémenceau avait eu la réplique célèbre dans un débat parlementaire historique face à Jaurès qui tenait ces mêmes calembredaines : « Jaurès, vous ne comprenez rien, en ne défendant pas les pauvres contre la violence et la criminalité, vous les rendez encore plus vulnérables ! ».



Le voyou : une espèce protégée en France ?
Les enquêtes de victimation ont permis d’établir qu’entre 1950 et 1992, il y a eu moins de 100 000 personnes victimes d’une agression ou d’une confrontation physique, un chiffre quasiment stable. Au milieu des années 1990, on passe à près de 500 000 victimes par an ! Un demi-million, c’est beaucoup de monde car ces victimes là ont des familles et de proches qui se sentent concernés. Elles ne sont pas juste un chiffre ou un fait divers !
En 1990, les assurances imposent la prévention situationnelle. C’est à dire que pour être assuré, il faut protéger son véhicule et son logement. La rue devient le théâtre d’opérations des voyous alors que l’espace public ne bénéficie pas plus de sécurité. Si le distributeur de billet est bien protégé, l’utilisateur est bien plus vulnérable. On assiste à un transfert et à un déplacement de la criminalité et de la délinquance. Le car Jacking et le Home Jacking sont les conséquences d’une surprotection matérielle. La protection du citoyen aurait du être renforcée mais au lieu de cela, on a supprimé des effectifs. Les cartes bancaires et les téléphones portables ont rendu chacun de nous « victime potentielle » dans l’espace public.

- Fin de la 1e partie - (à suivre)