Mise en bière de la brasserie

Posté le 27/01/2023  

Le glas a sonné pour la brasserie l'Espérance de Schiltigheim. En effet, le groupe Heineken propriétaire de cette dernière a annoncé la fermeture définitive dans trois ans. Dans une interview, Jean-Claude Riedel, ancien directeur, nous livre son avis expérimenté.



Natif de la Moselle, Jean-Claude Riedel habite Colmar depuis 1977. Retraité depuis l’été dernier, il a présidé durant six années la société qui gère le port de Colmar-Neuf Brisach. Sa carrière l'a mené à la tête des brasseries Heineken à Schiltigheim dans le Bas-Rhin et à Mons-en-Barœul dans le Nord. Formé comme ingénieur à l’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires de Nancy, il fut un des premiers à brasser la bière Heineken en France dans les années 80 à la brasserie Espérance de Schiltigheim.



Qu’est-ce qui vous a amené à faire carrière dans le domaine brassicole ?

Mes études supérieures de biochimie à l'Institut de Biologie Moléculaire et Cellulaire du CNRS à Strasbourg ne me destinaient pas vers les brasseries mais j’ai travaillé chez Kronenbourg pendant cette période. En 1975, j’ai remplacé une personne en congé maladie et même dirigé le laboratoire. Avec mon DEA en biologie moléculaire, plutôt que de continuer la recherche avec des perceptives d’emploi plus réduites, J’ai pu rentrer sur titre à l’école nationale d’industries alimentaires option « brasserie » à Nancy. Lors d’un stage au Danemark chez Tuborg Carlsberg. J’ai rejoint le laboratoire qui était le summum de la recherche brassicole à l’époque. Avec une stagiaire tchécoslovaque, nous avons mis au point ensemble une technique de dosage des phosphates pour la bière. Ces deux expériences et les lettres de recommandation m’ont permis en 1979 de rentrer chez Heineken qui m’a accueilli en disant : « Vous avez bossé chez Kronenbourg, chez Carlsberg, il ne vous reste plus qu’à travailler chez Heineken ».


L'oeuf de Colmar qui servait autrefois à transporter la levure d'une brasserie à l'autre.

Vous êtes un des pionniers de la production d’Heineken en France. Vous y faites carrière de 1979 à 2001. Peut-on dire que c’était l’âge d’or du grand groupe international en France ?

Il y n’y a jamais eu d’âge d’or. En 1972, Heineken met un pied en France en devenant actionnaire majoritaire de l’Alsacienne de brasseries (ALBRA) qui détenait 8 % du marché français de la bière. Ce groupe était propriétaire de cinq brasseries alsaciennes : Mutzig, l'Espérance, la Perle, la brasserie de Colmar et la brasserie Haag d’Ingwiller. Ces brasseries ont conservé leur fabrication et ont organisé l’importation de la production d’Heineken. Mais cette opération n’était pas rentable et a provoqué la fermeture de brasseries dont celle de Colmar en 1975. Heineken ne voulait plus exporter de la bière en France mais la produire. Pour ce faire, le géant hollandais voulait détenir au moins 20 % du marché français. Heineken France dissous alors l’ALBRA, rachète BGI (brasserie & glacière internationales) et l’union des brasseries UDB/Pelforth.



Comment démarre votre carrière chez Heineken ?

Je commence ma carrière en 1979 à la brasserie Espérance. Je suis responsable du laboratoire chargé du contrôle qualité de la bière et du packaging. A partir de ce cahier des charges, j’établis un projet d’organisation pour la fabrication de la bière ce qui me propulse comme chef de la fabrication en septembre 1980. C’est en 1981 que le groupe impose, pour les bières standards, un processus de fabrication appelé TL (tropical lager) à savoir l’élaboration d’une bière en 14 jours. Les bières spéciales comme la Old Lager de Mützig restent fabriquées selon les méthodes traditionnelles. Cela a, bien sûr impacté, les restructurations de l’entreprise. Mais cela a payé car la première année on a pu produire 180.000 hectolitres et chaque année suivante on a fait 100.000 hl de plus. Ce qui fut un franc succès.



Vous avez été directeur de la brasserie Espérance de Schiltigheim de 1990 à 1997. Heineken a annoncé sa fermeture le 15 novembre 2022...

C’était inéluctable. La rentabilité est le résultat d’une soustraction entre le chiffre d’affaires et les coûts ! Dans les années 80, il est question de fermer toutes les brasseries afin d’en ouvrir une seule plus grande et plus moderne en région parisienne. S’il est vrai qu’un Alsacien boit 60 litres par an ce qui est deux fois plus que la moyenne nationale, L’Alsace ne représente que 2,8 % de la population française ! Or c’est dans le Nord, la région parisienne et la côte d’Azur que la demande en volume est la plus importante. Ainsi, Heineken a conservé une brasserie à Marseille et une autre à Mons-en-Barœul que j’ai également dirigée de 1997 à 2001.



Vous avez défendu ce site…

Elle était moderne pour l’époque avec ses six étages qui contiennent chacun 10 cuves de 1000 hectolitres et ses deux étages d’eau. L’autre plus-value de la brasserie espérance, c’est son positionnement direct sur la nappe phréatique. A contrario, la récupération de l’eau à Mons-en-Barœul nécessite sept puits et son traitement est plus coûteux. A Marseille, l’eau provient du système de distribution citadin lié au débit de la Durance.
Aujourd’hui les frais de transports alourdissent la facture pour acheminer la bière de l’Alsace vers les autres régions. A mon époque, 30 % de la production était acheminée par le ferroutage et 70 % par la route. Aujourd’hui, c’est 100% routier dans un contexte d’enclavement de la brasserie dans Strasbourg.



Mais si c’est un problème de transport n’y avait-il pas d’autres solutions que la route comme le chemin de fer que vous avez cité et la navigation fluviale ?

J’ai dirigé le « port de Colmar Neuf-Brisach » jusqu’à l’été 2022. Mais il faut bien le dire, hormis le Rhin, il n’y a pas d’autres possibilités. Toutes les tentatives pour viabiliser ou réaménager les canaux comme celui du Rhône au Rhin se sont limitées à la navigation de plaisance ! Des projets d’ampleur comme cela, nécessitent des délais supérieurs aux mandats électoraux et donc n’intéressent pas vraiment les politiques. Quant au ferroutage, alors qu’une ligne existait entre Luxembourg et Perpignan et que l’entreprise Lohr avait conçu des plateformes ferroviaires adaptées pour la brasserie, nous avons assisté impuissant à l’effondrement du fret ferroviaire.